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Sur-mesure : un nouvel enjeu de taille
S’il est un mythe encore bien vivant dans l’univers de la mode masculine, le vêtement sur- mesure, seconde peau par excellence, a tout l’air de se tailler une nouvelle jeunesse sur le marché de l’homme.
Autrefois ré́servé́ à une certaine eélite, composé́e traditionnellement de politiques, hommes d’affaires, banquiers et autres notables y voyant là̀ un signe extérieur de distinction incontournable, le sur-mesure inté́resse dé́sormais un public plus large en quête de qualiteé et de personnalisation. Dans son sillage apparaît un nombre croissant de marques plus accessibles, installeées ou ré́centes, fortes d’une proposition de sur-mesure et « demi-mesure » en complément ou comme activité́ principale. Marché́ de niche, le sur-mesure rassemble des acteurs aux visages diffé́rents, des tailleurs historiques officiant surtout en « grande mesure » aux tailleurs positionné́s sur un secteur milieu-haut de gamme, en passant par de nouveaux entrants sur Internet, tous revendiquant un service d’exception à̀ contre-pied de la standardisation galopante. Pour sa part, même si sa vocation s’engage dans une voie de plus en plus différenciante, le costume ne concerne cependant que 6 % du marché́ de l’habillement masculin contre 10 % il y a dix ans (source : IFM 2009).
Sur la place parisienne, au 31 et 33 rue Marbeuf, les frères Cifonelli, les deux arriè̀re-petits-fils du fondateur de la maison du même nom, ont vu dans ce renouveau « amorcé il y a près de cinq ans » un excellent moyen de dépoussié́rer un marché́ vieillissant. « Un marché́ devenu très actif, commente Lorenzo Cifonelli, té́moin d’une vraie demande de la part de clients dont l’envie se tourne vers des produits exclusifs, sortant de l’ordinaire. Aujourd’hui, nous sommes davantage confrontés à une raréfaction des fournisseurs et des savoir-faire, alors que la demande augmente et que la clientè̀le se renouvelle. L’homme se prend véritablement en charge depuis quelques anneées, sur tous les domaines de l’esthétique, et le sur-mesure en fait partie. On accueille désormais chez nous des jeunes de 30 ans, passionné́s par le produit. » Cifonelli, qui fait partie inté́grante de cette géné́ration de tailleurs « grande mesure », reste comme une poignée de tailleurs français dans la veine d’un savoir-faire « cousu main », le premier prix d’un costume commençant pour indication autour de 4 800 €. Situé́es à Paris pour la plupart, on compte sur les doigts d’une main les grandes signatures possédant leurs propres ateliers, à̀ l’image de Cifonelli, Smalto, Camps de Luca, Torcello ou encore Stark and Sons. En France, il resterait 150 ateliers de tailleurs selon la Fédération nationale des maîtres-tailleurs de France (source : Mé́tiers d’Art).
Si les grandes maisons françaises pérennisent depuis de longues anné́es un savoir-faire « bespoke » (Ndlr : réalisation d’un costume sur mesure sans l’aide d’un patron gé́né́rique), elles apparaissent au demeurant de plus en plus confronté́es à̀ une nouvelle vague de « né́o-tailleurs » attiré́s par le phénomè̀ne. Qu’elle soit renommée ou outsider, chacune des marques y va de sa proposition de service sur-mesure ou plutôt... demi-mesure, selon les puristes. En fé́vrier dernier, Hermè̀s inaugurait son premier magasin uniquement consacré́ aà l'univers masculin, 230 m2 sur Madison Avenue à̀ New York. Maquillée « aà l’anglaise » à̀ la manière d’un appartement privé́, la boutique se dote pour une grande part d’un espace dédié́ aux commandes particuliè̀res et au sur-mesure. Ont également fleuri des propositions successives de créateurs, comme Giorgio Armani (Fatto a Mano su Misura), Ralph Lauren (Made to Order) ou encore Jil Sander et sa ligne Sartorial, complé́tée par un service sur-mesure de chemises. Dernier chemisier en date, la marque Figaret a elle aussi franchi le cap, en introduisant un corner « sur-mesure » au sein de son magasin phare de la Madeleine à̀ Paris. Une manière de diversifier son activité de prêt-à̀-porter, comme l’a eégalement fait Hugo Boss en lançant sa ligne Tailored Line ou encore Hackett.
De la mesure industrielle, parfois finie à̀ la main
Toutes ces offres sont développé́es sur le même modèle, et sont en effet davantage assimilé́es à de la « demi-mesure ». Le futur propriétaire d’une chemise mesuré́e, par exemple, peut l’acqué́rir sur divers critères dé́siré́s : cols, types de poignets, boutonniè̀res, poches à̀ la poitrine ou encore initiales brodé́es, jusqu’à un choix relativement important de tissus de qualité́ normale ou supérieure. Aprè̀s la prise de mensurations et le choix de la coupe, les marques adaptent alors un patron standard et une usine se charge ensuite de la confection. On parle aussi de mesure industrielle, même si parfois certaines finitions sont achevé́es à̀ la main. « Je n’aime pas trop le terme employé́ de “demi-mesure”, explique pour sa part Stéphan Ricard, cofondateur avec Sophie Samson de la marque de costumes sur-mesure du même nom. Demi- mesure voudrait dire “prendre la moitié́ des mesures ?” Je pense que c’est faux. De mon côté́, je prends autant de mesures qu’un tailleur professionnel. Je préfè̀re parler de sur-mesure et de grande mesure, comme en haute couture. Il faut noter qu’aujourd’hui les logiciels ont é́volué́, et on peut rentrer un nombre de paramè̀tres très important, qui vont loin dans la compré́hension de la morphologie de chacun de nos clients. »
La marque parisienne, dont le prix moyen d’un costume avoisine les 710 €, vient tout juste d’inaugurer sa quatriè̀me boutique dans la capitale boulevard Raspail, entre Paul Smith et Kenzo. « Je dis souvent que notre marché n’est pas celui du sur-mesure, mais du costume haut de gamme. Quand nous avons commencé́ il y a dix ans, le concept était de compenser notre dé́ficit de marque par un niveau de service que les marques ne pouvaient pas proposer. Dix ans après, c’est toujours le cas. Structurellement, les marques ont de tels coûts marketing qu’elles investissent de moins en moins d’argent dans la qualité́ de production et de leur tissu. Cela nous permet assez facilement, en dehors de l’aspect sur-mesure, de pouvoir proposer des prix é́quivalents, avec un niveau de tissu et de fabrication supé́rieur. Aujourd’hui, le marché est globalement trè̀s porteur pour nous. »
Haut de gamme mais davantage accessible, Samson fait partie de cette nouvelle génération de tailleurs sur-mesure bien ancré́e dans son temps. Sans renier l’esprit anglais « Savile Row », réfé́rence ultime du bespoke, la marque se distingue plutôt grâce à̀ une customisation trè̀s personnalisé́e, pour une clientè̀le majoritairement âgé́e de moins de 45 ans. Elle vient ainsi de lancer la collection « arty dandy » en collaboration avec le collectif 9e Concept, via lequel trois artistes ont cré́é une toile originale reproduite sur les doublures de costumes, et proposée en séries limité́es.
La pré́occupation demeure la pé́rennité́ d’un savoir-faire
Si le costume sur-mesure se conçoit plus nécéssairement en boutique, la chemise, elle, a suscité́ des adeptes toujours plus nombreux sur la toile. Pour les plus connus, Un Homme à̀ Part ou encore Saint-Sens... ce dernier récemment acquis par le groupe interactif Meninvest, venu lui apporter son expertise en matiè̀re de distribution, de marketing, de e-commerce, ainsi qu’un réseau de fournisseurs et un centre logistique. Son dirigeant, Marc Ménasé, témoignait alors en ces mots : « Le service de personnalisation sur le web est sous-exploité́. Je suis convaincu que l’homme et le sur- mesure ont encore une grande histoire à é́crire. » Avis partagé́ par un autre acteur dynamique du web, la jeune marque Swann, dont l’offre de chemises sur-mesure s’élè̀ve bien en deçà̀ des acteurs traditionnels (prix moyen 100 €). « On a cré́é Swann dans l’idé́e que cette offre allait se dé́mocratiser, et non pas pour s’engouffrer par opportunisme sur un marché́ de niche, commente son codirigeant Vincent Colin.Du coup, on allait pouvoir convertir des acheteurs de prêt-à̀-porter au sur-mesure. On y parvient aussi grâce à̀ des volumes relativement importants, et par des coûts de structures par consé́quent trè̀s faibles. Par contre, notre showroom parisien reste un trait d’union indispensable entre nous et nos clients. » Niché́e sur un marché moyen-haut de gamme, Swann s’adresse pour sa part à une clientè̀le âgé́e entre 26 et 40 ans, plutôt citadine, CSP+. La confection se passe au sein d’un atelier français, quand elle ne se dé́roule pas en Chine, pour de nouveaux arrivants. Qu’ils soient, enfin, tailleurs de grande mesure ou de demi-mesure, la pré́occupation demeure sans conteste la pé́rennité́ d’un savoir-faire usant de process bien plus complexes que le prêt-à-porter. Quand les marques ne forment pas elles-mêmes la relève de demain, certaines tentent d’exporter leur nom de maniè̀re à̀ assurer leur survie. Ainsi, nombre de tailleurs se sont lancé dans le créneau de la demi-mesure ou même du prêt-à-porter, à̀ l’image de Cifonelli par exemple, dont l’une des deux boutiques rue Marbeuf s’y consacre désormais. « C’est un cap à passer, relate Lorenzo Cifonelli, il est temps aujourd’hui de s’apuyer sur un nom pour construire une véritable marque, sans jamais le galvauder par des concessions en termes de qualité, qui ont fait notre ré́putation.»
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